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Histoires extraordinaires de gens ordinaires

Le Baccalauréat

Je fus un lycéen modeste, un pitre du quotidien qui ne comprenait pas grand-chose aux aspects scientifiques du programme de l’éducation nationale et je suis passé de classe en classe supérieure comme on saute sur une bonne occase, en donnant le change. Un vrai petit débrouillard. Au moins, avais-je une marge de progression. Les études n’avaient pas trop attiré mon attention et je le leur rendais bien. Sans autre ambition que la franche rigolade, je désolais ma famille, accablée par tant d’inaptitudes. En fait, je n’étais pas inapte, simplement incompétent.

La nullité n’étant pas un mode de vie, je me faisais remarquer en faisant le pitre devant mes petits camarades. Exister par ailleurs était mon unique objectif.

J’ai fait des bêtises : beaucoup. J’ai été puni : pas assez. Un professeur de français en classe de première déplorait de blâmer un élève turbulent, mais sympathique. Ce type était trop laxiste et à cause de gens comme lui, j’aurais pu finir sur la chaise électrique : salaud de prof.

De la sixième à la terminale, entre le premier rang et le bonnet d’âne, avec des notes inférieures à la moyenne, des appréciations de « médiocre » à « ne pourra jamais mieux faire », par pitié ou désintérêt de mes maîtres, je passais en classe supérieure.

Jusque-là, j’étais verni, mais la mansuétude avait ses limites : le baccalauréat. A quoi pouvait bien servir de me démener des années durant pour échouer au pied du podium ? Avoir l’air d’un con ! A mon époque on parlait de niveau bac pour répertorier les abrutis n’ayant jamais décroché le diplôme final, et l’ensemble du corps professoral ne me voyait pas décrocher le sésame.

Mon bac, je l’ai eu. C’est le « comment » qui est savoureux.

Je vais tâcher de faire bref, mais le délice de ces instants de gloire, mon nom sur la liste des vainqueurs, tout cela encore me remplit d’allégresse.

Commençons par le début et la liste « des coups de bol » en cascade.

La première épreuve du baccalauréat était celle du « français ». Nous avions une liste de textes étudiés en classe à présenter à l’examinateur. Il me semble qu’environ trente textes composaient une liste convenable. Une semaine avant l’épreuve, je n’en connaissais aucun. Tout juste avais-je appris à correctement orthographier les noms de Baudelaire, Rousseau et certainement Molière.

Il fallait agir promptement et je pris la seule décision qui s’imposait. Le tout pour le tout. Las Vegas et le jackpot. Plutôt que risquer un trois ou un six, je rappelle que l’épreuve est notée sur vingt, j’allais tenter le dix-huit. Je choisis un texte au hasard, l’Albatros de Baudelaire, et j’en appris par cœur le sens des mots, m’imprégnant de l’existence de l’auteur, de son état d’esprit jusqu’aux vicissitudes de sa vie bancale et privée. C’était Baudelaire ou rien. Une chance sur vingt. Pour aider la providence, ma liste n’était constituée que de vingt textes, dix en-dessous du minimum syndical.

Debout en rang d’oignons, une dizaine de candidats, le jour de vérité, attendait devant les portes qu’elles veuillent bien s’ouvrir.

Une porte en particulier devait être évitée, celle du milieu. La mine déconfite du lycéen sortant de la confrontation avec l’examinatrice, dans cette salle précise, faisait peine à voir.

Ce fut mon tour et bien sûr, la porte du milieu s’ouvrit. Je compris, entrant dans cette pièce, le désarroi de mes prédécesseurs.

Je donne ma liste et l’examinatrice me prie de m’assoir. Pas un mot durant au moins deux minutes. Essayez pour voir, chaque seconde est une torture. Elle me regarde, non elle me dévisage et ses premiers mots sont aigres-doux, mais plutôt aigres. « Vingt textes, vous présentez vingt textes quand vos petits camarades en ont plus du double, vous êtes suicidaire ? ». Je dirais que nos trois premières minutes d’entretien ne démarraient pas sous les meilleurs auspices. Je ne me rappelle plus mes réponses, certainement des borborygmes du genre : « ben ouais, chais pas trop, ah bon c’est pas beaucoup ?». Pitoyable.

J’avais placé l’Albatros en haut de liste avec le B de Baudelaire, premier arrivé au classement alphabétique. L’examinatrice pose la liste devant elle et pointe soigneusement avec un crayon chacune de mes propositions. Son regard est aimanté, à aucun moment il ne croise le mien. Le crayon descend doucement pour s’arrêter lettre V comme Voltaire, philosophe français auquel je vouais une ignorance viscérale. Elle entoure Candide avec son crayon, lève les yeux sur moi et d’un air triomphant me lance : « pour vous, ce sera l’Albatros de Baudelaire ».

J’adorais cette femme.

J’ai tout bien dit, où et quand il le fallait, mettant l’accent sur le drame d’un oiseau, majestueux dans les airs, mais claudiquant sur les planches d’un bateau, devenant la risée de marins incultes et railleurs. J’ai fait attention au suspens, attendant la fin du poème pour dire le trouble de l’auteur s’identifiant au volatile sur une scène de théâtre figurée par les planches du bateau.

A tout travail mérite salaire : dix-huit.

Cette femme était une sainte.

Maintenant le pompon, le nirvana, l’impossible réalisé.

Je n’ai jamais rien compris aux mathématiques, aussi je choisissais consciencieusement ma place, m’asseyant au gré des interrogations écrites aux côtés des fortiches de l’équation logarithmique. De petites antisèches aux regards en coin sur la copie du voisin, j’arrivais à un pénible huit de moyenne. Pas assez pour me virer, trop peu pour être distingué, le ventre mou de la modicité.

J’avais en classe terminale un professeur de mathématiques affublé d’une terrible réputation. Il terrorisait des classes entières par son physique de brute épaisse, son cou de taureau et ses mains larges comme des battoirs. Sa voix, d’un grave sépulcral et son humour froid, laissaient penser que l’homme devait être expert en tortures physique et mentale.

Face à lui, petit être insignifiant, je me faisais oublier.

Et puis un jour, j’ai dérapé.

Le professeur face au tableau noir, donnant le dos aux élèves, expliquait les données d’un problème, avec des x, des y et des z, et quelques courbes insolites pour agrémenter le tout. Il est exagéré de prétendre que je suivais vaguement, j’étais dans la panade, le flou absolu, le trou menant aux abysses.

Pour cacher ma gène et mon insuffisance, je faisais moult mimiques destinées à tourner en dérision la brute épaisse, qui non content d’un physique impressionnant avait aussi des yeux dans le dos.

Sans se retourner, jouant avec mes nerfs, sa voix cherchant les basses les plus pénétrantes, il adressa quelques mots à ma modeste personne. Des mots simples et sans appel : « Myara, qu’est-ce que je viens de dire » !!!!!!!

J’ai fait une bourde, une note d’humour que l’orang-outang n’a pas apprécié à sa juste valeur et j’ai répondu : « ben facile quoi : Myara qu’est-ce que je viens de dire ».

Pour comprendre l’absurdité de la situation et évaluer les forces en présence, imaginez un gringalet de moins de cinquante kilos allant défier un champion de boxe catégorie poids lourd, pour lui faire avaler son dentier. Je me voulais drôle et plus d’un élève, sans le clamer bien haut, ressentait à mon endroit une pointe d’admiration. Aucun ne pouvait me venir en aide.

Le professeur se retourna et par un simple sourire, signifia que tout affrontement était vain. J’étais l’insecte indigne du coup de talon. Il fut subtil et magnanime dans sa réaction. D’une voix pleine de soubresauts sarcastiques, il ordonna que je rentre chez moi avec une mission pour le lendemain : monter sur l’estrade et reprendre la démonstration de l’exercice du jour qu’il laissait en suspens.

Comment expliquer une énigme insoluble ?

Je suis l’idiot de la famille, mais heureusement la nature avait mieux doté mes frères quant au raisonnement mathématique et j’allais chercher du réconfort auprès d’eux. Bien sûr, je ne me vantais pas de la navrante joute oratoire qui m’avait opposée au maître des limbes.

Une cime pour certains est une motte de terre pour d’autres et Michel, mon frère, trouva l’énoncé du problème d’une enfantine simplicité. J’écrivis ses explications sur une feuille de papier et, la nuit durant, j’appris par cœur, ce défilé de chiffres et de symboles extravagants.

Le lendemain, tel l’acteur faisant corps avec son texte, l’Albatros sur les planches du bateau, je montais sur l’estrade. Je connaissais ma composition et durant les dix minutes que dura ma prestation, je donnais le change.

Sans un mot, King Kong satisfait et un peu surpris quand même, de la pointe de son index, désigna ma place afin que je la rejoigne. L’incident était clos.

La fin d’année scolaire, sans surprise notable en ce qui me concerne, amena ma génération d’élèves jusqu’aux épreuves écrites du baccalauréat série D. Je m’y présentais sans filet, avec mes yeux pour pleurer si je devais imager l’état d’esprit du moment.

Je fus bon en philosophie avec un quinze inespéré, alors que le jugement de mon prof de terminale restait plafonné en-dessous de la moyenne.

Les autres épreuves révélèrent, s’il en était besoin, mes insuffisances.

Quatre, j’obtins un quatre, à l’écrit, pour mon devoir de mathématiques, coefficient cinq, c’est-à-dire énorme. Un gouffre impossible à combler, justice rendue à tant d’années de fainéantise et aux rabat-joie pour lesquels seul le travail paie.

En additionnant les points glanés tout au long de l’examen, j’avais gagné le droit de revenir en deuxième semaine. Il fallait un minimum de points, cent cinquante si je me souviens bien, pour l’oral de rattrapage et j’en eus cent-cinquante-deux. Quelqu’un s’était forcément « planté » dans l’addition, mais je n’allais pas crier au scandale.

Mon salut ne pouvait venir que de l’épreuve orale de mathématiques, autant dire l’impossible.

Et pourtant.

Combien avais-je de chances sur mille ? Sur cent mille ? Sur cent millions ?

Combien de chances pour ce qui allait suivre ?

Sans espoir, à l’appel de mon nom, j’entre dans la salle réservée pour mon exécution. Un type, plutôt sympa, m’accueille et entreprend de me rassurer, comme le médecin avec son patient avant une opération.

Il avait disposé cinq enveloppes devant lui.

Il me proposa d’en tirer une au hasard.

Quinze minutes plus tard, il me donna une note.

Il m’avait mis dix-huit ! Dix-huit !

Vous avez deviné ?

Non ? Oui ?

Dans cette enveloppe, se trouvait l’exercice que mon professeur de terminale m’avait obligé à connaitre sur le bout des doigts.

Alors les sceptiques ! Convaincus ?

Evaluez les probabilités que cet exercice, parmi les milliers proposés depuis des années, se trouve dans une enveloppe ce moment précis et multipliez par cinq, pour les cinq enveloppes. Le résultat donne le tournis et le hasard eut besoin d’un coup de main, forcément, pour m’offrir le bac.

Un coup de main ? De qui ?

J’en ai assez de poser les questions, creusez-vous les méninges pour les réponses.