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Romans

Augustine, 10 ans, partie en voyage

J’ai voulu faire de ce récit un conte où se mélangent fiction et réalité. Augustine, petite fille de dix ans, quitte sa famille pour se rendre aux « Zuessa ». Afin que sa maman ne s’inquiète pas trop, avant de partir, elle lui écrit des lettres aux cours desquelles elle se vieillira de plusieurs années. C’est une petite fille qui écrit, puis une jeune fille, puis une femme.

Augustine, à travers sa vie rêvée, se métamorphose au fil de ses rencontres.

Est-ce une enfant qui se raconte ou une femme qui n’a pas quitté sa jeunesse ?

A vous de le découvrir.

117 pages
Premières lignes du roman

J’avais dix ans quand maman m’a mis dehors. Je ne pouvais pas lui en vouloir, elle voulait refaire sa vie. Comme papa avait refait la sienne, j’étais bien embêtée.

Je m’appelle Augustine. En hommage à mon grand-père maternel qui s’appelait Augustin. Ma mère avait hésité avec Marine. Augustin était marin.

Quand je dis que maman m’a mis dehors, je dois préciser que je n’étais pas la seule. Après moi par la porte, elle a balancé par la fenêtre, mon petit ours Bonny Black Big Bear, Barbie et Ken, mes robes, mes tee-shirts, mes pull-overs, même le rose, mes souliers, aussi les vernis, mes souvenirs et mes photos, surtout celles où je suis avec papa. Ensuite, elle a éventré le matelas pour récolter la mousse à l’intérieur. Par poignées, elle a jeté au vent chaque particule de mon refuge. Elle n’en a oublié aucune. Ca faisait joli quand le vent a emporté au loin tous mes songes. On aurait dit de la neige. Mes rêves s’envolaient et je pouvais les contempler. C’était très beau. Maman m’avait fait un beau cadeau. C’était moins bien quand elle a démonté le lit et que les barreaux en bois sont tombés à dix centimètres de mon visage. Elle ne l’a pas fait exprès, mais elle aurait pu me faire mal. C’est quand ma chambre fut débarrassée qu’elle s’est calmée.

Il ne faut pas en vouloir à maman. Tout est de ma faute et celle de la génétique. J’avais mal répondu et je ressemble un peu trop à papa. Il dit que maman a une dépendance avec l’alcool. Le vin surtout. Celui qui coûte deux euros le litre chez « Géant » et qui lui fait mal au crâne quand la bouteille est finie. Des fois, elle n’a pas suffisamment mal au crâne, alors pour se sentir plus mal, elle ouvre une deuxième bouteille. Ca fait quatre euros et elle se plaint tout le temps qu’on a du mal à joindre les deux bouts. Quand elle est dans cet état, elle ne parle plus des deux bouts ou de joindre qui que ce soit : elle pleure et va se coucher en maudissant le jour où elle a rencontré ce con d’Antoine. Antoine, c’est papa. Ce con était parti avec une autre. Chez Antoine et l’autre je n’ai pas de chambre.

Je l’ai déjà dit mais là, je suis vraiment embêtée.

Tout a commencé quand papa est parti en déplacement pour son travail. Son collègue Muguet, comme le muguet, lui avait téléphoné en catastrophe du Gabon. Le standard téléphonique était en panne et l’entreprise qui avait acheté ce matériel Obzolaite ou Haupsolète, enfin pas une grande marque, était pas très contente.

Papa a dit à maman qu’il devait partir d’urgence pour réparer un matériel pourri et maman a répondu que c’est comme ça quand on vend du matériel pourri. Antoine a répondu que bien sûr, mais si aucun standard téléphonique ne tombe en panne, il n’aurait plus de travail. Maman a dit : d’accord, mais quand même.

Papa est parti.

Il devait rester trois jours au Gabon, il est resté trois semaines. Le matériel quand c’est pourri, ça ne marche vraiment pas. En fait, il était pas si Ausolaite que ça. J’ai cru comprendre qu’il l’avait réparé en deux jours, mais Muguet avait insisté pour qu’il reste encore un peu.

Muguet avait été muté au Gabon depuis cinq ans. La femme de Muguet lui avait dit : « c’est moi ou le Gabon ». Depuis Muguet habite à Libreville, capitale du Gabon.

Muguet aime beaucoup la vie au Gabon, mais il s’embête un peu le soir. Il va aux putains. Une putain c’est une femme noire qui embrasse un monsieur qu’elle ne connaît pas très bien. Alors le monsieur, pour ne pas casser l’ambiance, il discute avec elle gentiment. Il lui demande quel est son métier et toutes ces choses qui rendent une conversation agréable. Il lui offre à boire, il se montre généreux et après la putain elle tombe amoureuse et elle va dans un lit avec le monsieur. C’est pour ça qu’au Gabon, il y a beaucoup de putains, elles recherchent le bonheur.

Papa a été très généreux avec Rosalie, mais pas très discret. Avec Muguet il se rendait dans un café quand Rosalie s’est adressée à lui en disant « bonjour, c’est l’amour qui passe ». Alors papa lui a demandé de lui parler de son métier, de ce qu’elle voudrait faire plus tard et lui a offert un verre. Il ne faisait rien de mal. Pourquoi Rosalie n’aurait-elle pas le droit d’être heureuse ? Le bon cœur de papa l’avait perdu.

Pour qu’on ne se méprenne pas sur ses intentions et la sincérité de ses sentiments, il avait gardé des photos de Rosalie dans son portefeuille. C’est dommage d’avoir à prouver le bien que l’on fait aux autres. C’est ce que maman n’avait pas compris. Comme papa est modeste, il ne voulait pas lui montrer les photos. Elle est tombée par hasard dessus en fouillant dans ses poches et dans son portefeuille.

Maman a beaucoup crié. Elle a traité papa de salaud et Rosalie de putain. Elle n’avait pas le droit de hurler après une femme qu’elle ne connaissait pas et qui discutait boulot avec Antoine.  Personnellement, je n’ai pas vu les photos. Peut-être que maman n’a pas aimé voir son mari traîner dans un café avec un verre d’alcool en parlant à une étrangère. Papa, c’est comme le petit Jésus, il est puni pour avoir fait le bien autour de lui.

Il a juré, promis, s’est mis à genoux, a dit pardon, a dit c’est pas moi, c’est la vie, c’est Muguet, c’est obsolète, c’est le soleil, c’est l’alcool, c’est Rosalie, c’est l’amour qui passe, il n’est qu’un homme, c’est un droit à l’erreur, c’est pas ça qui peut tout remettre en cause, c’est dommage, pardon.

Elle n’a rien répondu. Elle est descendue et s’est rendue chez « Géant ». Le soir, elle avait mal au crâne.

Depuis le retour d’Antoine du Gabon, à la maison ce n’était plus comme avant : j’existais. Les conversations passaient par moi : « Augustine tu diras ceci à ton père ; Augustine tu diras ceci à ta mère ». Ils se parlaient de moins en moins. Ils se parlaient par Augustine interposée. Ils m’avaient prise pour un standard téléphonique et comme je ne fonctionnais quelquefois pas très bien, pour me réparer, maman me foutait des baffes, après avoir bu une bouteille de chez « Géant ». Deux euros la baffe. J’avais le sentiment de ne pas valoir très cher.

C’est quand j’ai dit à papa que ça ne pouvait plus durer qu’il a pris conscience que les choses devaient changer : pour lui. Il a quitté la maison pour s’installer avec l’autre. Pauvre Rosalie aux amours déçues. Pauvre maman. Pauvre moi. Pauvre petit ours Bonny Black Big Bear, c’est « Géant » qui se frottait les mains de la bonne affaire.

Alors, je me suis retrouvée seule avec maman. Je crois que maman aurait préféré se retrouver seule avec personne.